Auteurs: Benoit Charot

Par trois ordonnances rendues le 28 janvier 2016, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre a accordé à treize patients ayant absorbé le médicament Médiator® une provision à valoir sur l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (art. 1386-1 et s. du Code civil).

Le juge des référés n’a pas retenu l’argument tenant à la prescription soulevé par les Laboratoires Servier, laquelle est de trois ans à compter de la connaissance du dommage, du défaut du produit et de l’identité du producteur. Le juge ne s’est pas prononcé sur le point de départ de la prescription, sur lequel s’opposaient les parties, les Laboratoires Servier considérant qu’il fallait retenir la date à laquelle le médicament avait été retiré du marché par l’AFSSAPS, soit en novembre 2009, les demandeurs soutenant, au contraire, qu’il convenait de se référer à des publications portant sur la toxicité du produit datant de 2011 et 2012. Le juge a cependant considéré que la prescription avait été interrompue à la date à laquelle les patients s’étaient constitués parties civiles devant le Tribunal correctionnel en charge du volet pénal de l’affaire, soit en mai 2012 puisque « les deux actions, quoique distinctes, tend[aient] à un seul et même but de sorte que la seconde [était] virtuellement comprise dans la première ».

Le juge des référés n’a accordé la provision qu’aux patients qui établissaient concrètement la preuve d’un suivi médical en lien avec l’exposition « au regard du risque qui ne peut être actuellement exclu de développer une HTAP [hypertension artérielle pulmonaire] même plus de deux années après [l’] arrêt [du traitement] ». Ce risque serait, selon le juge des référés, « de nature à provoquer chez [les demandeurs] un sentiment d’inquiétude indemnisable au titre du préjudice d’angoisse ». Inversement, le juge de l’évidence a rejeté les demandes des patients qui n’apportaient pas la preuve de l’anxiété et d’un suivi médical contraignant en lien avec le risque de développer une HTAP au motif que la « demande de provision se heurt[ait] à contestation sérieuse ».

Si le juge des référés s’est attaché à déterminer concrètement que les demandeurs étaient véritablement anxieux au regard du suivi médical dont ils avaient fait l’objet, on relève cependant que quelle que soit la durée de ce suivi, et donc de l’anxiété, une provision d’un montant identique de 1.500 euros a été accordée à chacun des patients dont la demande a été accueillie.

Au stade de l’évidence, ce préjudice éminemment subjectif est donc réparé forfaitairement, à l’instar de ce qui est observé en matière d’exposition à l’amiante. Ceci ne présage pas de ce qui pourrait être octroyé dans le cadre de la procédure devant le juge du fond, ce dernier pouvant allouer un montant différent de dommages et intérêts et également d’indemniser les demandeurs qui ont été déboutés par le juge des référés.

Ces trois ordonnances tendent à montrer que les juridictions du fond accueillent les demandes d’indemnisation du préjudice d’anxiété dans un tout autre domaine que celui de l’exposition professionnelle à l’amiante. Les actions introduites reposent ici sur un fondement bien différent, celui de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Il n’est donc pas exclu que des demandes similaires soient formées à l’encontre de fabricants de produits considérés comme défectueux dès lors que leurs utilisateurs ont été exposés aux risques de ceux-ci et même si ces risques ne se sont pas déjà traduits par un préjudice corporel mais seulement de l’angoisse d’en développer éventuellement un.