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Le 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation en sa forme solennelle a opéré un important revirement de jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale entre personnes morales en cas de fusion-absorption.1

Désormais la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.2

Jusqu’à cette décision, la chambre criminelle refusait que la société absorbante fasse l’objet de poursuites pour des faits commis par la société absorbée, en se fondant sur le principe de la personnalité des peines.

Cette solution inédite et attendue est différée dans le temps et ne s’appliquera qu’à certaines opérations de fusions conclues postérieurement au 25 novembre 2020, sauf si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale.

1. Le nouveau principe de transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante

Aux termes de l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». La Chambre criminelle interprétait ce texte comme interdisant d’engager des poursuites pénales contre la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière ne perde son existence juridique par le biais d’une opération de fusion-absorption.3

La Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) avait jugé le contraire dans une décision du 5 mars 2015, sur le fondement de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative aux fusions des sociétés anonymes et du principe de transmission universelle du patrimoine de la société absorbée.4

C’est la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 24 octobre 2019 qui a ouvert la voie à une nouvelle interprétation de l’article 121-1 du Code pénal. Elle a alors affirmé, sur le fondement du principe de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise, que les juridictions françaises n’avaient pas porté atteinte au principe de la personnalité des peines en jugeant qu’une amende civile pouvait être infligée à la société absorbante, pour des faits imputables à la société absorbée.5

La jurisprudence européenne amorçait le changement de position de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère que la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commis par la société absorbée avant l’opération.6

Selon elle, « la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n'entraîne pas sa liquidation […] » et que « le patrimoine de la société absorbée est universellement transmis à la société absorbante […]. Il en résulte que l'activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération ».

Par ailleurs, la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, et peut ainsi se prévaloir de tout moyen de défense que cette dernière aurait pu invoquer. C’est le cas notamment des éventuelles exceptions de nullité de procédure, y compris celles que la société absorbée aurait eu qualité à agir.