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1. Un bilan mitigé deux ans après l’introduction du système de l’action de groupe en France

Le 1er octobre 2014, un système d’action de groupe a été introduit en droit français et a offert la possibilité aux consommateurs d’engager une procédure leur permettant de demander et d’obtenir des dommages et intérêts de façon groupée. Dans le cadre de la première phase du système d’action de groupe, quinze associations de consommateurs au niveau national et près de cinq cent associations d’usagers du système de santé sont désormais autorisées à lancer des actions de groupe devant les juridictions françaises. Ces associations peuvent être représentées par un avocat et peuvent participer à une médiation en vue d’obtenir une indemnisation pour les dommages subis individuellement par les consommateurs. Au cours de la deuxième phase, la juridiction se prononce sur la responsabilité du ou des défendeurs et pose les conditions dans lesquelles chaque demandeur pourra adhérer à l’action de groupe pour obtenir des dommages et intérêts (système dit de l’opt-in). La troisième phase comprend l’exécution de la décision afin d’indemniser les demandeurs, ce qui entend un transfert des fonds par l’association aux membres du groupe, ainsi que des procédures connexes de recouvrement forcé des dommages et intérêts accordés par la juridiction.

Dans le modèle français d’action de groupe, contrairement au modèle américain, le droit d’action est exclusivement réservé à des associations agréées dans le but d’éviter les problèmes existants dans le système américain, où il semblerait que les avocats des demandeurs introduisent de nombreuses actions de groupe et ce sans base légale à leur requête.

En ayant limité le nombre d’actions de groupe et désigné strictement les personnes habilitées à engager de telles actions, le modèle d’action de groupe français n’a pas eu d’impact significatif sur la protection des consommateurs, étant donné que seules six actions ont été introduites depuis sa création. Celles introduites concernent les secteurs de l’immobilier locatif, les services financiers, les communications électroniques et l’hébergement touristique. L’une de ces actions a été conclue par un accord transactionnel qui a indemnisé près de 100.000 consommateurs. Les autres procédures sont actuellement pendantes devant les tribunaux.

Ce manque de succès tient notamment au rôle des associations qui ne disposent pas des moyens humains et financiers nécessaires pour une telle procédure judiciaire. Toutefois, l’impact médiatique de l’action de groupe n’est pas négligeable puisque la responsabilité du professionnel est quasiment acquise dès la publication des communiqués de presse. Cet impact médiatique doit notamment conduire les entreprises à gérer la communication dans ces dossiers retentissants.

2. L’élargissement du champ d’application de l’action de groupe pourrait étendre le risque de responsabilité et impacter la couverture d’assurance des entreprises en France

Alors que deux ans après sa mise en place, l’action de groupe n’est que très peu utilisée par les associations de consommateurs, le législateur, par la loi du 26 janvier 2016, a élargi l’action de groupe afin de couvrir le domaine de la santé. Celle-ci pourra être utilisée par les 486 associations d’usagers du système de santé. Ainsi, depuis le 1er juillet 2016, les victimes peuvent exercer une action de groupe dans le domaine de la santé pour obtenir réparation des préjudices résultant de dommages corporels. La réparation des préjudices moraux est exclue de ce type d’action. Tous les produits de santé sont visés, c’est-à-dire les produits à finalité sanitaire destinés à l’homme et les produits à finalité cosmétique.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a étendu l’action de groupe à davantage de domaines, en matière de discriminations (y compris dans le monde du travail), en matière environnementale et en matière de protection des données à caractère personnel. Cette action serait ouverte aux associations agréées mais également aux organisations syndicales représentatives.

A l’initiative du Barreau de Paris, des efforts supplémentaires sont faits afin d’augmenter le nombre d’actions de groupe introduites, notamment en renforçant le rôle de l’avocat. Face au manque de moyens financiers et humains des associations pour engager des procédures judiciaires, les membres du Barreau de Paris ont créé une plateforme le 12 novembre 2015 nommée « avocats-adhésions-conjointes.com ». Il s’agit d’un site dédié aux actions conjointes pour permettre des actions de masse menées directement par les avocats. Ce système diffère de l’action de groupe créée par le législateur qui repose sur l’initiative des associations où celles-ci ne peuvent intervenir que dans des domaines de droit spécifiques et pour des préjudices déterminés. L’objectif de cette initiative du Barreau de Paris est de parvenir à l’indemnisation individuelle de chacune des victimes de l’action conjointe en bénéficiant de la force du groupe.

Dans le cadre de ce nouveau processus, l’avocat en charge de l’affaire doit tout d’abord soumettre un dossier à un comité ad hoc du Barreau de Paris. Une fois approuvée, l’avocat pourra ensuite annoncer publiquement l’action de groupe envisagée à la presse afin de réunir un groupe d’individus ayant subi un dommage. A ce jour, dix-huit actions de ce type sont identifiées sur le site internet, onze desquelles ont déjà été clôturées.

Malgré le fervent soutien manifesté pour ce modèle d’action de groupe français par le biais de déclarations publiques et de discours par les membres du gouvernement français, le modèle n’a eu qu’un succès très limité dans la pratique dû notamment au monopole détenu par les associations malgré leur manque de personnel et de ressources. Malgré cette inefficacité du modèle d’action de groupe français, le législateur français continue à élargir le champ d’application du système et à l’étendre à d’autres domaines tout en augmentant le nombre d’associations ayant le pouvoir d’engager de telles actions.

Même si le système d’action de groupe français a démarré très lentement, avec seulement six procédures lancées à ce jour, l’élargissement du champ d’application de cette action aura un impact sur le risque de responsabilité et la couverture d’assurance des entreprises domiciliées et intervenant sur le marché français. Pour ces raisons, les entreprises intervenant en France doivent veiller à l’évolution du modèle d’action de groupe et s’assurer que leur couverture d’assurance garantisse tant leurs frais de défense que les indemnisations en lien avec une action de groupe engagée à leur encontre en France.