La sortie de crise s’annonce d’ores et déjà dramatique pour le secteur aéronautique où beaucoup de petites compagnies aériennes qui ont vu le jour au cours de ces cinq dernières années n’y survivront pas et où les grands groupes auront à repenser leur business model.
Sans une intervention forte et rapide des Etats, il se fait jour que même les plus grandes compagnies nationales dites « flag carriers » auront bien du mal à faire face à cette crise mondiale qui touche l’ensemble de l’industrie du tourisme.
En France, le gouvernement a tout juste annoncé un report sur les années 2021 et 2022 du paiement de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (recouvrée par Eurocontrol pour le compte de la France) et des taxes de l’aviation civile et de solidarité sur les billets d’avion exigibles, dans les deux cas, entre mars et décembre 2020. Cette mesure vise à soulager immédiatement la trésorerie des compagnies aériennes françaises qui seules peuvent en bénéficier. Avec un marché qui connaissait déjà des difficultés importantes avant même la survenance de la crise (deux compagnies aériennes françaises, Aigle Azur et XL Airways, ayant déposé le bilan fin 2019), il semble néanmoins inévitable que le gouvernent prenne d’autres mesures significatives rapidement.
Au sein de l’UE, ces mesures soulèveront naturellement quelques problématiques liées aux aides d’État longtemps bannies par la réglementation issue du droit de la concurrence. Il est cependant probable que les Etats membres s’accordent rapidement afin que les gouvernements qui le souhaitent puissent soutenir les compagnies aériennes dans le but de sauver cette industrie et éviter un désastre économique et social. A ce jour, il ne semble malheureusement pas qu’il y ait eu de réponse collective à cette question. La France a d’ores et déjà obtenu l’accord de la Commission européenne pour octroyer le report de certaines taxes et redevances aéroportuaires. Le Danemark aurait également fait certaines demandes aux institutions décisionnaires européennes et aurait obtenu une approbation ad hoc.
Dans cette course contre la montre, les compagnies aériennes cherchent par tous les moyens juridiques et commerciaux disponibles à alléger leurs obligations pécuniaires et se concentrent en particulier sur celles portant sur le remboursement de dettes et de paiement des loyers de leurs avions faisant l’objet de contrats de location.
Les compagnies aériennes disposent, le plus souvent, d’une flotte d’avions détenus schématiquement pour un tiers en nom propre, pour un tiers par les banques apporteuses de crédits (le plus souvent sous forme de crédits bail avec option d’achat), et pour un tiers par les sociétés internationales du leasing d’aéronefs avec qui les compagnies ont conclu des contrats de location simple.
En matière de leasing
Depuis de nombreuses années, la pratique de marché est d’inclure dans les contrats de location, qu’il s’agisse de crédits bail financiers ou de contrats de location simple, une clause dite « hell or high water » qui oblige les compagnies aériennes à payer les loyers dus quelles que soient les circonstances, y compris si l’avion ne vole pas et n’est pas exploité.
C’est précisément ces clauses qui sont l’objet des discussions commerciales en cours entre les compagnies aériennes et leurs bailleurs. Il s’agit pour les compagnies d’obtenir une suspension du paiement des loyers pour des périodes de trois à cinq mois, le temps que la crise sanitaire s’estompe.
Dans ces négociations, les compagnies aériennes seront aidées par les récentes dispositions d’urgence prises par le gouvernement français aux termes de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période. L’article 4 de cette ordonnance organise une véritable paralysie de mécanismes contractuels bien connus ayant pour objet de sanctionner les cas d’inexécution d’une obligation par son débiteur. Il ressort ainsi de ces dispositions nouvelles que sont temporairement privées d’effet les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé si ce délai a expiré entre le 12 mars 2020 et « l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » soit, en l’état actuelle des choses et sauf prolongation ou fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire, le 24 juin 2020. L’ordonnance précise que ces astreintes prendront cours et ces clauses produiront leurs effets à compter de l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de cette période si le débiteur n’a pas exécuté son obligation avant ce terme. Les créanciers retrouveront donc la faculté d’agir en vertu de ces clauses à compter du 25 juillet 2020 (sauf prolongation ou fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire) si l’inexécution de l’obligation par le débiteur persiste. Enfin, si des astreintes ont pris cours ou des clauses pénales ont pris effet avant le 12 mars 2020, celles-ci sont suspendues et reprendront effet, sauf prolongation ou fin anticipée de l’état d’urgence sanitaire, le 25 juin 2020.
Outre ces discussions commerciales intenses, les compagnies aériennes pourront également recourir, si les contrats de location sont régis par le droit français, aux régimes de la force majeure et de l’imprévision pour tenter de limiter ou de suspendre les effets d’une crise sans précédent.
Contrairement au droit anglais, l’article 1218 du Code civil contient un principe général de force majeure applicable à tous les contrats. Ce régime exige que des conditions spécifiques soient satisfaites pour justifier l’empêchement subi par le débiteur dans l’exécution de son obligation : (i) l’évènement doit avoir échappé au contrôle du débiteur, (ii) l’évènement ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et (iii) les effets de cet évènement n’ont pu être évités par des mesures appropriées. Ces conditions seront vérifiées par le juge au cas par cas.
Ces dispositions ne sont cependant pas d’ordre public. Contractuellement, les parties sont libres d’en exclure l’application tandis qu’elles auront pu insérer dans leur contrat de location une définition négociée de la force majeure en prenant soin d’en avoir délimité les contours et les conséquences.
Si le contrat ne prévoit aucune définition de la force majeure, les compagnies aériennes devront démontrer que les critères édictés par le droit commun sont satisfaits. Cet exercice ne sera pas simple, les juridictions françaises s’étant montrées sévères dans l’appréciation de ces conditions s’agissant par exemple de la pandémie de grippe H1N1 ou des épidémies de chikungunya ou de dengue où la force majeure fût, à chaque fois, écartée. Dans le contexte unique du COVID-19, de la fermeture des frontières aux batteries de mesures d’urgence sanitaires, économiques et sociales prises ou en passent de l’être par les autorités françaises, la tâche pourrait s’avérer un peu plus aisée pour les compagnies aériennes. A cet égard, elles auront d’ores et déjà trouvé un allié de poids, le gouvernement français ayant pris les devants en déclarant publiquement que le COVID-19 devait être entendu comme un cas de force majeure applicable à tous les contrats conclus avec la personne publique. Il est fort à parier que cette prise de position aura une influence déterminante sur les juridictions s’agissant de l’appréciation des conditions de la force majeure applicables aux contrats relevant du droit privé.
Les compagnies aériennes devront néanmoins garder à l’esprit que le régime de la force majeure ne leur sera que d’une aide limitée si l’objectif recherché est d’échapper à leurs obligations de paiement au titre des contrats de location. Les montants (tels que les loyers) demeureront dus et exigibles bien que le paiement effectif puisse être légitimement retardé si elles parviennent à démontrer avec succès que les conditions de la force majeure sont réunies. Dans la situation difficile actuelle, la majorité d’entre elles sont désormais privées de toutes recettes et feront rapidement face à une insuffisance de ressources pour exécuter leurs obligations de paiement à bonne date. Un paiement retardé justifié par un cas de force majeure pourra déjà paraître comme un soulagement temporaire.
Il est probable que les compagnies aériennes regardent également avec attention les dispositions légales relatives à l’imprévision. L’article 1195, alinéa 1, du Code civil dispose ainsi que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». Si les parties ne parviennent pas à trouver un accord ou si l’une des parties n’est pas disposée à négocier, celles-ci pourront décider de la résolution du contrat ou pourront s’adresser à un juge afin que celui-ci adapte le contrat ou y mette un terme.
Ces dispositions furent introduites dans le Code civil récemment et les conditions qu’elles imposent sont susceptibles d’être perçues comme étant plus flexibles que celles applicables à la force majeure. En pratique cependant, il faut bien reconnaître qu’elles sont presque systématiquement, sinon toujours, contractuellement exclues des contrats de location d’avions et plus généralement des contrats commerciaux.
Sans être en état de cessation des paiements, une compagnie aérienne éprouvant des difficultés financières qu’elle ne peut être en mesure de surmonter pourra aussi se tourner vers le tribunal de commerce compétent afin de bénéficier des dispositions protectrices de la procédure de sauvegarde. Sous la protection du tribunal, la compagnie, qui reste in bonis, négociera un plan de sauvegarde avec ses créanciers, en ce compris les bailleurs d’avions. Les autres types de procédures préventives prévues par le Code de commerce (qu’il s’agisse de la procédure de conciliation ou du mandat ad hoc) pourront opportunément être invoquées afin de faciliter les négociations avec les principaux créanciers au rang desquels se trouveront les bailleurs d’avions.
En matière de financements
Les effets du COVID-19 sont d’ores et déjà bien présents en matière de financements bancaires. Les banques revoient actuellement leurs copies concernant les financements en cours et les comités de crédit commencent à retirer les autorisations relatives aux financements étudiés avant la crise mais qui ne sont pas encore signés.
La première conséquence de la crise du COVID-19 sur les financements existants est que nous assistons à une forte demande de la part des compagnies aériennes de se voir octroyer des aménagements de paiement de leurs dettes bancaires. Dans le contexte unique de cette crise, les réponses des banques sont rapides mais semblent presque contraintes si elles ne veulent pas pousser davantage leurs débiteurs à la faillite. A cet égard, il faut noter que les compagnies aériennes bénéficient dès à présent des nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 qui paralysent temporairement certains droits des créanciers (en ce compris toute clause en vertu de laquelle les créanciers auraient pu prononcer une déchéance) en cas d’inexécution d’une obligation du débiteur (voir développements ci-dessus).
La question du jeu et des effets de la force majeure se posera également avec force dans les contrats de financement, en particulier s’agissant des obligations pécuniaires qui y sont prévues. Sur cette question précise cependant, il faut noter que la Cour de cassation a pu décider nettement que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Com. 16 septembre 2014, n° 13-20.306, P+B). Cette décision, beaucoup commentée, pose le principe qu’une dette ne peut être effacée par le simple jeu de la force majeure. Le paiement n’en sera que temporairement suspendu.
En matière d’imprévision, la pratique de marché en matière de financements aéronautiques reprend celle ayant cours s’agissant des contrats de location. L’application de l’article 1195 du Code civil permettant au débiteur de demander une renégociation du contrat en cours en raison d’un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion sera systématiquement exclue.
Le deuxième phénomène que nous identifions dans cette crise s’agissant des financements en place est un appel massif des compagnies aériennes sur les lignes des crédits renouvelables dont elles disposent auprès de leurs établissements bancaires. Ces lignes de crédits renouvelables visent à couvrir leurs besoins ponctuels en fonds de roulement (lignes dites « RCF » ou « Revolving Credit Facility »).
En dépit de la crise et de ses effets, nous avons constaté que les banques continuent de répondre favorablement aux compagnies qui ont émis le souhait de tirer des fonds sur ces lignes de crédit. Dans cette prise de position volontariste, les banques tentent d’apporter une bouffée d’air frais aux compagnies qui connaissent des temps difficiles. Néanmoins, les banques doivent prêter attention à certaines problématiques qui pourraient naître à l’occasion de ces tirages.
La responsabilité des banques pourrait ainsi être recherchée pour soutien abusif si, en dépit d’une situation économique irrémédiablement compromise connue ou qu’elles ne pouvaient ignorer, les banques ont accordé un crédit à la compagnie aérienne fragilisée. En accordant le crédit sollicité, les banques pourrait avoir entretenu, de manière artificielle et fautive, une apparence de crédit susceptible d’avoir causé un préjudice aux autres créanciers de la compagnie.
Les banques devront également se poser la question de l’opportunité de la mise en jeu des clauses dites de « MAE » (ou, en français, d’« évènement significatif défavorable »), lesquelles sont stipulées dans la plupart des contrats de financement et qui permettent aux banques, notamment, de justifier un blocage des tirages. Ces clauses et les définitions y afférentes varient d’un contrat à un autre mais se concentrent essentiellement autour de la notion d’un évènement défini comme ayant un effet significatif défavorable sur la capacité du débiteur à respecter ses obligations et/ou sur sa santé financière, ses activités et parfois sur sa rentabilité et ses perspectives.
L’utilisation par les banques de ce type de clauses dans le but de bloquer des tirages dans un contrat de crédit fut beaucoup discutée dans le contexte de la crise financière de 2008/2009 et soulève toujours beaucoup de questions au sein des établissements bancaires.
Avec une jurisprudence fournie, les tribunaux anglais ont pu se prononcer à de nombreuses reprises s’agissant des clauses de MAE. Tel ne semble pas être le cas des tribunaux français. L’analyse des décisions anglaises peut cependant s’avérer intéressante. Il en ressort ainsi que les tribunaux anglais, dès lors que le débiteur n’est pas véritablement en défaut de ses obligations de paiement ou en situation de quasi-faillite, se montrent le plus souvent réticents à donner effet aux clauses de MAE pour justifier le blocage d’un tirage en raison d’une situation économique globale du débiteur jugée comme dégradée par les banques. Nous pourrions imaginer que les tribunaux français adoptent une approche similaire voire plus prudente encore. Il paraît en effet peu probable que les tribunaux français admettent que la crise de COVID-19 constitue en soi un évènement significatif défavorable.
Enfin, les banques sont toujours tenues par les grands principes du droit français qui innervent toutes relations contractuelles, en premier lieu desquels la bonne foi de l’article 1104 du Code civil qui trouvera à s’appliquer et à s’apprécier dans l’exécution du contrat qu’elles feront et des décisions qu’elles prendront à l’endroit du débiteur dans ce contexte si particulier du COVID-19. Les banques ne doivent pas oublier non plus que les compagnies aériennes pourront trouver quelques mesures de protection en vertu de l’article 1343-5 du Code civil aux termes desquelles « le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues ».
Concernant les immatriculations d’aéronefs
Il convient, en dernier, de noter qu’en raison des règles de confinement général applicable en France, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) assure aujourd’hui un service minimum en ligne et par téléphone sans présence physique au sein du bureau des immatriculations. Seules les opérations urgentes sont effectuées et un possible ralentissement dans la retranscription sur le registre des aéronefs civils de certaines opérations jugées comme moins essentielles est à anticiper (tel est le cas des prorogations des contrats de location par exemple).
L'équipe Reed Smith dédiée au Coronavirus comprend des avocats pluridisciplinaires d'Asie, des États-Unis, d'Europe et du Moyen-Orient, prêts à vous conseiller sur les questions ci-dessus ou toute autre interrogation que vous pourriez avoir en rapport avec le COVID-19.
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