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Deux arrêts récents rendus par les tribunaux français et anglais dans la même affaire ont abouti à des conclusions opposées sur le droit applicable à la convention d’arbitrage. Cette situation doit rappeler aux praticiens l’existence de différences culturelles majeures générant une insécurité juridique importante pour les acteurs de l’arbitrage international qui menace l’efficacité de l’arbitrage.

Certaines rivalités semblent éternelles. La France et l’Angleterre, pourtant si proches, semblent se complaire à ne pas se comprendre, pour le plus grand désarroi des parties. L’affaire Dallah avait pourtant sonné l’alerte en son temps1.

La présente affaire Kabab-Ji S.A.L. c/ Kout Food Group est l’occasion d’une nouvelle confrontation entre juge français et juge anglais, cette fois-ci sur la question du droit applicable à la convention d’arbitrage.

Elle met en jeu un différend relatif à un contrat de franchise à l’occasion duquel le franchisé a attrait à l’arbitrage la maison-mère du franchiseur, et non le franchiseur avec lequel il était directement lié par un contrat. Les arbitres se sont reconnus compétents et ont condamné la maison-mère à verser près de 7 millions de US$ au franchisé.

En janvier de cette année, la Cour d’appel de Londres, faisant application du droit anglais, a refusé de reconnaître et d’exécuter la sentence au motif que le tribunal n’était pas compétent à l’égard de la maison-mère2. Le 23 juin dernier, la Cour d’appel de Paris, saisie d’un recours en annulation de la sentence, a rejeté la demande et décidé que le tribunal s’était à bon droit déclaré compétent3.

Ces divergences d’appréciation sont coûteuses pour les parties et engendrent une véritable insécurité juridique. Ce résultat doit alerter sur la persistance de différences culturelles majeures propres à neutraliser l’efficacité des procédures arbitrales. Il convient d’anticiper ces obstacles à l’efficacité de l’arbitrage.

Un contexte contractuel ordinaire

Un contrat de franchise a été conclu entre AHFC (franchiseur), et Kabab-Ji (franchisé). En 2005, à la suite d’une restructuration, KFG, est devenue la maison-mère de AHFC.

Le contrat de franchise comportait une clause de choix de loi en faveur du droit anglais et une clause compromissoire prévoyant un arbitrage CCI à Paris. De façon ordinaire, le contrat comportait une clause de « Entire agreement » et conditionnait toute modification du contrat à la conclusion d’un écrit signé. L’accord devait être interprété et exécuté de bonne foi.

La rédaction de la clause compromissoire était détaillée. Elle précisait que les arbitres feront application du contrat, appliqueront également les principes juridiques généralement reconnus en droit des contrats, pourront prendre en considération les règles impératives des Etats, mais ne devront pas faire application d’une règle contredisant les stipulations du contrat.

KFG est intervenue à diverses reprises dans l’exécution du contrat de franchise. A l’occasion de discussions sur le renouvellement de la franchise, KFG a décidé de ne pas renouveler les accords et d’entamer des négociations pour leur résiliation. En raison d’un différend, Kabab-Ji a engagé un arbitrage contre KFG afin d’obtenir réparation. AHFC n’a pas été attrait à l’arbitrage.

En 2017, une sentence a été rendue condamnant KFG à verser 7 millions de US$ à Kabab-Ji. Pour se reconnaître compétent à l’égard de KFG, le tribunal arbitral a considéré que la clause compromissoire avait été transmise à la maison mère en vertu d’un mécanisme de novation de droit anglais.

Contestant la compétence du tribunal arbitral à son égard, notamment eu égard à l’inexistence (avérée) en droit anglais du mécanisme de novation retenu par les arbitres, KFG a demandé l’annulation de la sentence à Paris, siège de l’arbitrage, et s’est opposé à son exécution à Londres.

L’importance sous-estimée du droit applicable au contrat pour le juge anglais

Dans le contexte de la convention de New York, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence peut être refusée lorsque la convention d'arbitrage n'était pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'ont soumise ou, à défaut d'indication, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue4.

La jurisprudence anglaise admet que le choix de droit applicable à la convention d’arbitrage soit implicite. En l’absence de choix exprès, la portée de la clause de choix de loi est susceptible de s’étendre à la convention d’arbitrage.

A cet égard, la jurisprudence Sulamerica considère que, lorsque les parties ont désigné la loi applicable au contrat, la clause compromissoire contenue dans ce contrat est, en l’absence d’indices contraires, tout particulièrement susceptible d’être soumise à ce droit5. L’extension de la portée de la clause de choix de loi n’est donc pas automatique, mais une forte présomption existe en faveur de ce rattachement, qui pourra être renforcée par les autres stipulations du contrat.

Il n’était pas certain qu’en l’espèce la volonté des parties était d’étendre le choix de loi à la clause compromissoire. Mais le juge anglais considère que l’existence d’une ambiguïté n’exclut pas le caractère exprès d’un choix et que la référence à d’autres règles de droit que le droit anglais ne remettait pas ce choix en cause. Il a par ailleurs observé que les parties avaient convenu d’une clause de « Entire agreement », que le contrat auquel s’appliquait la clause de choix de loi était un terme défini (qui devait donc inclure la clause compromissoire) et que les arbitres avaient l’obligation d’appliquer le contrat.

Aux yeux de la Cour d’appel de Londres, les parties avaient expressément souhaité que le choix de loi s’étende à la clause compromissoire. C’est donc au regard du droit anglais que la validité de la transmission ou de l’extension de la clause compromissoire devait s’apprécier. Le mécanisme de novation retenu par les arbitres n’existant point, la question se posait de la possibilité d’une extension de la convention d’arbitrage en présence d’une clause interdisant toute modification non écrite du contrat.

Lorsque les parties ont convenu d’exclure toute modification orale du contrat, la jurisprudence Rock Advertising permet de faire échec à cette stipulation si un estoppel est démontré. Il faut établir que la partie a eu des propos ou une conduite conduisant de façon incontestable à croire que la modification du contrat était valable malgré son caractère informel, et apporter d’autres éléments de preuve que cette promesse informelle6. En l’espèce, la Cour d’appel de Londres a estimé que les conditions précitées n’étaient pas réunies et a donc refusé l’exécution de la sentence.

S’il ne fait guère de doute que les conditions restrictives du droit anglais en matière d’extension de la clause compromissoire n’étaient pas réunies, la question de l’applicabilité du droit anglais à cette question est plus polémique. On peut se demander dans quelle mesure la situation était prévisible pour les arbitres, dès lors que le siège de l’arbitrage était en France et que le contrat nécessitait un travail complexe d’interprétation.

Notons que le juge anglais s’est permis une incartade à l’attention du juge français, en émettant le souhait que les tribunaux français prennent note de son interprétation du sens et de la portée du droit anglais qui était à ses yeux déterminant dans l’affaire.